Lettres d’un provençal – Charles Charton
Rue du Général Leclerc – Épinal
Les Champs-Golot présentent encore plus de singularité que les Brandons. A peine la nuit est-elle arrivée que les larges ruisseaux de la rue de l’Hôtel-de-Ville charrient de nombreuses chandelles allumées sur de légères planches. On accourt de toutes les parties de la ville pour voir ce spectacle. Ces petits bateaux enflammés sont conduits par des enfants qui chantent sans cesse ce couplet :
Les champs golot,
Les lours relot ;
Pâques revient,
C’est un grand bien
Pour les chats et pour les chiens,
Et les gens tout aussi bien.
Vous ne comprenez peut-être pas ces deux premiers vers. Ils sont écrits dans un vieux patois qui n’est plus guère connu dans le pays. Aussi ai-je eu bien de la peine à me les faire expliquer. Ils signifient : les champs coulent, les veillées s’en vont. Ce spectacle bizarre, qui se donne le jeudi-saint, annonce le retour du printemps, l’accroissement des jours, la fin des veillées ; on éteint dans l’eau les chandelles qui ont éclairé l’ouvrier pendant les longues soirées de l’hiver. Il annonce aussi que le carême touche à sa fin, que l’on va reprendre l’usage des viandes ; de là le grand bien dont sont près de jouir les gens et les animaux domestiques que désigne la chanson. Jadis les artisans seuls allumaient les champs golot, mais, depuis quelques temps, tous les habitants ont voulu participer à la coutume.
Charles Charton, « Lettres d’un provençal » dans Voyages anciens et modernes dans les Vosges 1500 – 1870, Épinal, Éditions Veuve Durand et fils, Libraires-éditeurs, 1881, pp.171-172
Bibliographie : Les Lettres d’un provençal, parues dans le Mémorial de l’Industrie de 1821, sont en réalité l’œuvre du vosgien Charles Charton (1800-1876). Cet historien et membre de la Société d’Émulation dépeint les Vosges et les mœurs disparues des Spinaliens.