Un militaire séduisant

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Parc de la Pépinière, canal

« Le service militaire aussi l’avait perverti, l’initiant à une mollesse d’existence, qu’il n’avait pas connue auparavant. Ses succès auprès des femmes ne se comptaient plus. On était bien nourri et on ne travaillait pas. C’est un dicton des paysans dont la vie est si dure qu’on devient « feignants » à faire des métiers pareils. Et le séjour dans une grande ville de l’Est lui avait révélé le goût des distractions, les habitudes d’oisiveté, les stations dans les cafés, toute une vie molle dont la nostalgie lui gonflait le cœur. Ses succès auprès des femmes ne se comptaient plus. Elles tournaient autour de lui, affolées par sa mine robuste, par ses airs farauds et conquérants. Les besognes pénibles de la terre n’ayant pas déformé son corps, parmi tous les paysans déjetés, noueux, pareils à des souches, il avait l’air d’un monsieur de la ville.

Il avait eu une liaison qui avait duré deux ans, pendant son service militaire à Nancy, avec une fille de brasserie, une blonde un peu fanée, aux yeux tristes, qui versait à boire aux clients dans un café voisin de la Pépinière. Elle s’était jeté à sa tête, séduite par sa prestance, heureuse dans son isolement de retrouver un camarade pour parler du pays. La rivière séparait leurs villages ! Les dimanches, ils allaient se promener le long du canal, hantés par la mélancolie que les eaux semblaient charrier, alourdies par le reflet des ormes touffus, entre les rangées de roseaux bruissants. Ils s’entretenaient des choses des champs, de l’état des récoltes, du prix des vins de la dernière cuvée. Ils s’aimaient, retrouvant des souvenirs d’enfance qui leur étaient communs, se comprenant, parce qu’ils avaient des mots, des façons de parler identiques, jetés aux bras l’un de l’autre par cette sensation d’isolement, qui les effarait au fond d’une grande ville. La fille, que sa profession mettait au courant de ces détails, initiait le soldat aux raffinements de la toilette, au luxe à bon marché des odeurs de bazar.»

Emile Moselly, Terres lointaines, Les éditions de l’imprimerie nationale de Monaco, 1950, p. 29.

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