Terrible nouvelle

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieux évoqués : Nancy, colline Sainte Croix, Metz.

« Ce jour-là, je reviens de Nancy. Au sortir de la gare, la grisaille, tenace depuis le matin, semble avoir foncé d’un ton. Il fait un froid humide et j’ai hâte de regagner le petit appartement, deux chambres de bonnes communiquant entre elles, qu’en échange de travaux de rafraîchissement j’ai pu louer, à un prix modique, au dernier étage d’une maison ancienne qui a connu des temps meilleurs – très mal insonorisée, elle est, de surcroît, dépourvue du confort le plus élémentaire. Qu’importe ! Cette maison typique de l’architecture messine a une âme. Et j’ai vraiment le sentiment d’y être chez moi. Aussi, je ne lui vois que des qualités, d’autant que mon logement bénéficie d’une entrée indépendante, qu’il se trouve desservi jusqu’à l’étage inférieur par un ascenseur brinquebalant, vestige d’une prospérité passée, et que, dominant la colline Sainte-Croix, il jouit d’une vue imprenable sur les toits de la ville.

Devant en soirée reprendre mon service à l’internat, je suis bien décidée à m’accorder deux heures de liberté, c’est-à-dire à me plonger, pour le seul plaisir et sans me préoccuper de questions de cours, dans la lecture d’un roman de Moravia.

Las ! A peine ai-je le temps d’enlever ma veste que j’entends la sonnerie du téléphone. Presque aussitôt, la voix de ma logeuse me parvient à travers le plafond :

– Mademoiselle Mathilde, téléphone !

Je dégringole l’escalier. Au bout du fil se trouve l’infirmière de mon établissement, une jeune femme avec qui j’ai sympathisé et qui, très ennuyée, me demande si elle peut me confier la garde de ses jumelles – son petit dernier vient de s’abîmer plusieurs dents. Comment refuser ? J’aime bien ces gamines, elles sont rafraîchissantes et inventives, mais ce jour-là, j’en conviens, leur présence me pèse ; elles le sentent qui se chamaillent à qui mieux mieux. J’avoue que, dans l’espoir de sauver ce qui reste de mon après-midi ruiné, je guette le retour de leur mère avec une impatience non dissimulée. Quand la sonnerie de la porte d’entrée retentit avec insistance, je ne bouge pas. Il ne peut s’agir d’elle, il est encore trop tôt. Et ce ne peut être toi – impensable que tu viennes sans m’avoir prévenue ! Ma logeuse, qui est de la vieille école, a bien évidemment interdit les visites masculines… Je n’attends personne d’autre et décide de faire la sourde oreille. En vain. Au pied de l’immeuble, le visiteur inconnu continue de maltraiter ma sonnette. Les enfants s’étonnent : Ça sonne drôlement longtemps ! Tu n’ouvres pas, Mathilde ?

Elles ont raison. Une telle insistance ne peut être le fait d’un simple importun. Brusquement, j’ai peur que mon visiteur ne s’en aille. Avec une certaine fébrilité, j’appuie sur le bouton de l’interphone :

– Oui ?

– Télégramme !

Télégramme ! Mes pensées se brouillent. Télégramme ? De qui ? Pourquoi ? Il ne peut s’agir que d’une mauvaise nouvelle. Une boule d’angoisse naît au creux de mon estomac, tandis que mon cœur s’affole. J’entends l’ascenseur qui s’arrête dans un bruit de ferraille. J’ouvre précipitamment, dévale les marches, réponds machinalement au salut du porteur, lui glisse une pièce, regagne mon logement. Derrière moi, les petits piaffent :

-C’est quoi Mathilde ?

Je déplie le papier bleu. Sous mes yeux apparaît un texte soigneusement calligraphié dont le sens refuse de parvenir jusqu’à mon cerveau. Il tient en deux lignes : « Votre père,…, décédé. Enterrement le… »

Madeleine Zimmermann-Munsch, Ruptures, éditions Ex Aequo, 2018.