Les Vosges – Théophile Gautier
La cascade du Géhard – Val-d’Ajol
Ce chemin gravi, on se trouve en face de la cascade de Géhart [sic], laquelle, il faut l’avouer, n’a rien de bien grandiose. L’été, il lui manque souvent une chose importante pour une cascade, c’est-à-dire de l’eau. De minces filets rayent à peine le roc aride et nu où les nappes bouillonnantes devraient écumer ; mais quoique l’on soit un peu désappointé, le site vous dédommage complètement. Si la curiosité n’est pas très-remarquable, le chemin qui y mène est une merveille.
Près de la cascade de Géhart il existait autrefois de gigantesques sapins, les aînés de la solitude, les colosses de la forêt, abattus et exploités depuis qu’on a fait une route permettant d’amener au bas de la montagne les arbres coupés sur les hauteurs. L’industrie joue de ces tours à l’art. Les peintres soupirent, les propriétaires se frottent les mains : ainsi va le monde. Il en reste cependant encore assez pour que la beauté du site n’en souffre pas.
La cascade est couronnée par le sommet de la montagne et entourée d’une immense forêt, dont les arbres énormes s’accrochent avec leurs racines comme avec des doigts monstrueux aux blocs de granit qui leur servent de base. Lorsqu’un rayon de soleil traverse ces épaisses ramures, effleure les fûts des sapins ou des frênes, dore les mousses, met des diamants aux gouttes d’eau, il se produit des effets à faire la joie et le désespoir de l’artiste.
Jean-Joseph Bellel, Théophile Gautier, Les Vosges, Paris, Éditions A. MOREL et compagnie, Libraires-éditeurs, 1860, pp. 9-10
Bibliographie : Jean-Joseph Bellel (1816 -1898), peintre français, édite en 1860 un album intitulé Les Vosges. Il est composé de vingt dessins au fusain de sa main et lithographiés par J. Laurens. Il confie la rédaction du texte descriptif à son ami Théophile Gautier (1811-1872) qui a effectué un voyage dans les Vosges en 1858 et 1859.