Les superstitions

Publié par Bibliothèques de Nancy le

Lieu évoqué : Auboué

« On accède au logis des voisins par les portes de fer accrochées aux barrières grises qui clôturent les jardins.

Griiii, griii. Elles grincent quand on les ouvre. Je cours, remontant les allées étroites et je franchis impunément les seuils, car presque partout, je suis chez moi. Je vais faire la causette aux amis de mes parents. Ils sont ma famille. Des oncles, des tantes, des grands frères, des grandes sœurs, des grands-pères et des grands-mères adoptifs. Mais je ne sais pas qu’ils sont adoptifs. Ou plutôt, je fais comme s’ils ne l’étaient pas. D’ailleurs eux non plus ne savent pas que je suis leur nièce, leur sœur, leur petite-fille adoptive. Ils m’aiment. Ils écoutent mes histoires. Ils me parlent. Ils me font rire. Ils me prennent sur leurs genoux.

Les premiers dans mon cœur, ce sont les voisins du dessous. La grand-mère et le grand-père Monardi. De chez nous, je les entends très souvent crier en italien des jurons et des blasphèmes très rigolos. La Reine me défend bien de les répéter. Alors je me les répète et les fait chanter dans ma tête. Je les prononce en cachette avec ma sœur, des dizaines de fois, et ça fait une musique qui nous fait éclater de rire. Quand la reine va en ville, elle nous laisse parfois sous leur garde.

La grand-mère Monardi est une très vieille femme d’au moins cinquante ans. Elle porte comme mes aïeules, la robe noire des italiennes qui n’en finissent plus d’être en deuil et les cheveux tirés en arrière, serrés, enfermés avec de nombreuses épingles, dans un chignon gris.

Elle nous apprend des tas de choses cette merveilleuse grand-mère ! Quand elle fait des crêpes, à la chandeleur, elle nous montre comment devenir riches en faisant sauter les crêpes, une pièce de monnaie dans la main qui tient le manche de la poêle. Le plus épatant et qu’elle nous permet d’essayer la manœuvre et rit lorsque la crêpe nous échappe et tombe sur le plancher. Puis, elle place la pièce sur le haut de l’armoire de sa cuisine pour que le sort soit favorable. La Reine ne veut rien faire de tout cela. En vain nous la supplions. Pas pour devenir riche. Seulement pour voir le sort. Elle dit que ce sont des superstitions. Moi j’adore les superstitions. Je les trouve jolies. »

Armelle Galloni, Mine de riens, Éditions Paroles de Lorrains, 2018, pp.77-78.

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